Festival international du film fantastique de Menton
9e Fantasy Film Festival
du 23 octobre au 26 octobre 2025 à Menton
Mondes Altérés :
Cinéma et Réalités Oniriques (Partie 2)

Les altérations psychologiques de la réalité
Outre les dispositifs technologiques, de nombreux films explorent comment l'esprit lui-même peut générer des réalités alternatives, volontairement ou non, par amour, par trauma ou par désir d'échapper au réel. Certaines œuvres nous plongent dans les méandres de la psyché humaine, où la frontière entre réel et imaginaire devient particulièrement poreuse.
Le Rêve de ma femme illustre avec finesse comment l'amour peut devenir le déclencheur d'une réalité altérée, en motivant la manipulation du réel. La scène où le mari découvre que le rêve commandé par sa femme ne concernait que leur propre histoire d'amour révèle toute l'ironie tragique de sa jalousie.

L'amour comme moteur de distorsion
Cette thématique trouve un écho bouleversant dans Eternal Sunshine of the Spotless Mind, où la suppression des souvenirs amoureux devient une métaphore puissante de notre rapport à la perte, à la reconstruction. La séquence où Joël revit la disparition progressive de ses souvenirs avec Clémentine, tentant désespérément de les préserver, compte parmi les plus émouvantes représentations de la mémoire affective au cinéma. Ce film explore directement la manipulation de la conscience. La mise en scène mélange réalité, souvenirs et effacement de la mémoire en temps réel. De plus, ces scènes de destruction des souvenirs créent des séquences visuellement oniriques.

La fragmentation de l'identité
De leur côté, Mulholland Drive (David Lynch) et Shutter Island (Martin Scorsese) explorent magistralement comment l'esprit peut créer ses propres réalités alternatives face à un traumatisme. Dans ces deux œuvres, la frontière entre réel et imaginaire se brouille, jusqu'à ce que le spectateur lui-même perde ses repères. Ils explorent tous deux, à leur façon, les méandres de l'identité et de la folie.
La dualité Géquil/Hyde dans Madame Hyde s'inscrit dans cette même exploration, mais sous un angle plus lumineux (littéralement). La transformation nocturne du personnage en être de lumière illustre comment la fragmentation identitaire peut aussi être source d'émancipation. Lorsque Madame Géquil donne cours après sa transformation, son autorité naissante transcende sa timidité initiale. Le mythe original part du principe que l’homme n’est pas un, mais deux. Ici, l’expérience ratée de Madame Géquil lui permet de se surpasser, d’atteindre son ça, sa partie “Madame Hyde” qui la parfait.

L'addiction à la réalité alternative
La conclusion poignante du Rêve de ma femme pose une question essentielle : peut-on devenir dépendant d'une réalité alternative ? Le mari, entouré de boîtes MetaDreams vides, est clairement devenu dépendant aux pastilles MetaDreams, cherchant désespérément à revivre des moments avec sa femme dans une réalité artificielle.
Cette thématique résonne en certains points avec Vortex (Gaspar Noé), où la caméra subjective et les mouvements frénétiques traduisent viscéralement l'expérience d'une conscience altérée. Dans ce long-métrage déstabilisant (dans tous les sens du terme), c’est l’addiction à la drogue qui permet de modifier sa conscience, sa réalité.
Les personnages d'Inception, quant à eux, se retrouvent confrontés au choix de rester dans leur rêve profond. Le monde onirique du couple incarné par Marion Cotillard et Leonardo Dicaprio illustre cette tentation de l'échappatoire perpétuelle, où on a envie de rester vivre pour l’éternité.

La mémoire comme terrain de réalité instable
Dans plusieurs œuvres, la mémoire apparaît comme un espace de reconstruction permanente où le réel se déforme subtilement. Memento (Christopher Nolan) en fait une démonstration saisissante à travers sa structure narrative inversée : le protagoniste, incapable de former de nouveaux souvenirs, vit dans une réalité constamment réinitialisée. La mise en scène épouse cette désorientation en forçant le spectateur à reconstruire lui-même la chronologie des événements.
Shutter Island explore une autre facette de ce phénomène, à travers la mémoire traumatique. Le personnage de Teddy Daniels construit une réalité alternative complète pour échapper à ses souvenirs insupportables, transformant l'île en un territoire mental où enquête policière et reconstruction mémorielle se confondent. La scène où il découvre la vérité sur sa femme et ses enfants illustre magistralement comment la mémoire peut à la fois révéler et occulter le réel.

Dark City ajoute une dimension collective à cette réflexion : chaque nuit, les mystérieux Étrangers réécrivent la mémoire des habitants, créant ainsi une réalité partagée, mais façonnée. Une séquence particulièrement frappante montre la ville en pleine reconfiguration nocturne, métaphore visuelle puissante de la malléabilité de nos souvenirs collectifs.
Et bien sûr, encore une fois, Eternal Sunshine of the Spotless Mind incarne parfaitement cette dimension, par l’effacement sélectif des souvenirs. À force d’excessivement vouloir tout contrôler, jusqu’à la mémoire, amour et souvenirs s’imposent comme des réalités mouvantes.